Ces courts voyages en lecture invitent à flâner, observer, apprendre, guidé par un passé qui a marqué les lieux et qui, bien souvent, nous concerne à travers la colonisation. Ils ont pour ambition de procurer des moments d'évasion, mais aussi d'ouvrir des portes sur le destin des peuples.

Voyage au centre des Hautes Terres

Le roi envoya des soldats dans toutes les directions en leur ordonnant de marcher pendant trois jours avant de revenir. Ils revinrent tous le même jour. Le roi en conclut qu’il se trouvait donc sur cette colline au centre exact de son royaume

Il faut à peine une demi-heure de marche pour atteindre la base de l’Ambasy, le plus haut des cônes volcaniques entourant le lac Itasy. La petite montagne se dresse au milieu d’une rigoureuse platitude de terre grise. En ce mois d’octobre, l’herbe qui recouvre ses flancs, comme celle des autres formations volcaniques, a une couleur de paille. Mais tout reverdira dès les premières pluies. 

L’Ambasy culmine à 1 868 mètres, soit à quelque 400 mètres au-dessus du niveau du plateau des Hautes Terres dont l’altitude moyenne voisine les 1 500 mètres. Sur un chemin poussiéreux, rocailleux et glissant, l’ascension de ces quatre cents mètres n’est pas si simple. Un marcheur moyen doit compter une bonne heure pour monter là-haut. 

« Ambasy veut dire fusil. Un fusil en or aurait été trouvé au sommet par un paysan qui labourait son champ. C’est ce que racontent les gens d’ici » explique Mano, mon guide, une fois parvenu au point culminant. La partie plane du sommet de l’Ambasy est en effet plantée de manioc. De là s’offre une vue panoramique sur les chaînes volcaniques et le lac Itasy, le troisième en surface (35 kilomètres carrés) des lacs des Hautes Terres. Dans toutes les directions, les chaînes de collines et de montagnes s’égrènent jusqu’à l’horizon. 

À cette altitude, on embrasse d’un seul regard ce qui fait la personnalité de cette région. Le relief est une véritable leçon de géologie volcanique en plein air. L’immense lac bleu s’étend d’un coin à l’autre du champ de vision. Des histoires curieuses, mystérieuses, étranges, sont accolées à chaque éminence, chaque cratère, chaque village qu’on aperçoit. On constate la dure vie des paysans qui s’efforcent de tirer le maximum de chaque lopin de terre, jusqu’aux plus hauts perchés.

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Les volcans de l’Itasy se situent dans le prolongement de la chaîne volcanique voisine de l’Akantara. Moins visitée que cette dernière, la région de l’Itasy souhaite se faire mieux connaître en s’appuyant notamment sur l’attrait du lac et des volcans. Auparavant noyée dans la grande province d’Antananarivo, elle forme à présent une entité régionale à part entière. La région débute aux portes de la capitale et le lac Itasy est un lieu de détente apprécié des habitants d’Antananarivo, ainsi que des connaisseurs de Madagascar. La réputation du site date du roi Radama qui en avait fait un de ses lieux de villégiature préférés au XIXe siècle. Il est à l’origine de la petite cité d’Ampefy. « Itasy veut dire cuvette, complète Mano. Le lac doit son existence à une coulée de lave qui a bouché la vallée, créant un barrage à l’écoulement des rivières Mazy et Lily. » 

Les volcans de l’Itasy se sont éteints au Quaternaire, il y a environ 30 000 ans. Ils ont formé un paysage de petites montagnes, de cratères comblés et de vallées où sont dispersés des villages et des hameaux reliés par un réseau dense de sentiers. Les cultures de maïs, manioc, légumes, tabac, vont jusqu’au creux des cratères où les champs prennent une forme d’amphithéâtre. Dans celui d’Ambilany Be (la Marmite), une ferme entière a pris place avec son habitation, ses zébus et ses cultures. 

La vie paysanne est plus développée à l’approche du rivage plus fertile du lac, avec de grandes étendues de rizières et l’activité des pêcheurs. Impressionnant par son étendue, le lac en revanche n’est pas très profond : en moyenne six à sept mètres. La pêche s’effectue de jour, en pirogue, au filet ou à l’aide d’une sorte de nasse où les poissons pénètrent et d’où ils ne peuvent plus ressortir. Les deux espèces principalement pêchées sont le tilapia et, dans une moindre mesure, la carpe. Un millier de pêcheurs exploitent la ressource avec mesure. Mano traduit les explications de l’un d’entre eux. « Pour permettre la reproduction des poissons, la pêche s’arrête depuis quelques années entre mi-octobre et mi-décembre, dit-il. L’aquaculture prend le relais durant cette période, les pêcheurs vivent grâce aux poissons d’élevage.  » 

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Mano fait partie d’un groupe de quatre jeunes qui proposent des randonnées autour du lac et dans l’arrière-pays. Parlant français, anglais et allemand, ils se partagent les visiteurs selon leur langue maternelle. Ils sont d’Antananarivo et se sont imprégnés du terrain, de la toponymie des lieux et des innombrables histoires et légendes locales. 

À trois kilomètres d’Apemfy, au village d’Antanimarina, un des circuits proposés conduit à l’îlot de la Vierge, lieu emblématique de la région du lac. On rencontre sur ce chemin des ouvriers fabricant des briques. L’opération commence par la collecte de la glaise à la pelle et s’achève par la cuisson des briques séchées à un feu alimenté avec de la paille de riz. C’est une des activités traditionnelles de Madagascar. Le pivot en est le modelage de la glaise en briques à l’aide d’un moule quadrangulaire. Le rythme de l’ouvrier ne faiblit jamais. «  Il en façonne mille par jour. Il faut trois mille briques pour construire une maison » informe Mano. 

Plus loin, des rizières forment de vastes coulées vertes entre les collines qui se succèdent en bordure du lac. À chaque pas, une nouvelle histoire est racontée. Jusqu’à celle de la statue de la Vierge élevée sur un des promontoires dominant le lac. Haut lieu de pèlerinage à l’Ascension, cette statue est réputée occuper le centre exact de Madagascar ! Son installation est relativement récente : 1959. Auparavant le site était voué aux rites traditionnels malgaches. La décoration de la balustrade, figurant des têtes de zébus, est un rappel du passé. 

En face de l’îlot de la Vierge, un autre îlot sacré abrite le tombeau du roi Andriambahoaka. La mémoire populaire lui attribue l’origine de la découverte du centre géographique de Madagascar. « Le roi envoya des soldats dans toutes les directions en leur ordonnant de marcher pendant trois jours avant de revenir. Ils revinrent tous le même jour. Le roi en conclut qu’ils avaient parcouru une distance égale et qu’il se trouvait donc sur cette colline au centre exact de son royaume » raconte Mano. Des mesures plus récentes ont montré que le lac Itasy est effectivement le centre géographique de Madagascar.

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De l’îlot de la Vierge, une marche de deux à trois heures remonte la rive du lac jusqu’à Ampefy. Cette marche agréable et intéressante dévoile la beauté du lac et la vie qui se déroule autour. La nature est inondée de soleil. Les couleurs des terres, rouge ou beige, se retrouvent dans l’habitat villageois aux murs de torchis et aux toits de paille. Les villages profitent des terres les plus fertiles. Quelques initiatives, ici et là, montrent que certains se préparent à l’accueil de touristes : la construction de bungalows, l’aménagement d’une petite plage (bien qu’on ne puisse pas se baigner actuellement dans le lac à cause d’une infection de bilariose), l’entretien des chemins… 

Pour l’instant, seuls deux sites profitent vraiment du passage des touristes : les geysers de Mahatsinjo et les chutes de la rivière Lily. Ce sont les deux excursions “classiques”. Les geysers sont situés à quelques kilomètres de la ville d’Analavory, sur la rivière Mazy. S’ils n’ont rien d’impressionnant en hauteur, ils découpent au bord de la rivière un espace minéral aux formes surprenantes, d’une couleur ocre-jaune qui tranche dans le paysage verdoyant du cours d’eau. Ces geysers sont à voir parce qu’ils sont la dernière manifestation volcanique visible de l’Itasy. L’eau tiède jaillie du sol a construit des tertres et des terrasses où se remarquent en particulier une grosse tour d’aragonite, ainsi qu’une concrétion rare appelée dragée de Carlsbad. 

La matière première de ces sculptures naturelles qui scintillent au soleil est essentiellement le carbonate de calcium. En théorie, environ deux minutes sépare chaque émission qui dure de vingt-cinq à trente secondes. Cependant, le rythme et la hauteur de l’émission dépendent de la chaleur et du niveau de l’eau dans la poche souterraine. Ils varient selon les saisons.

Non loin d’Ampefy, les chutes de la rivière Lily tombent de vingt mètres dans un bassin de rochers. Le cadre est bucolique à souhait. Quoique isolé, le village surplombant les chutes est alimenté en électricité grâce à l’initiative d’un vazaha (un étranger), amoureux du lieu, qui a bricolé une mini-centrale hydraulique.

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La région de l’Itasy ne manque donc pas d’atouts pour faire valoir son identité. Son premier atout est l’accessibilité. À partir d’Antananarivo, une route excellente conduit jusqu’au lac à travers la belle région des Hautes Terres. À juste titre, l’Itasy souhaite s’affirmer en jouant la carte d’un écotourisme villageois. Par ailleurs, s’il tient la vedette, il faut savoir que les lacs de l’Itasy (51 lacs au total ont été répertoriés) et les volcans ne sont pas les seuls centres d’intérêt de la région. D’autres motifs d’arrêt, comme le parc des lémuriens, pourraient composer une sorte de parcours buissonnier sur le chemin du grand lac.

L’Office régional de tourisme de l’Itasy a vu le jour en 2007 et son vice-président, Jacky Ramarlah, restaurateur et aubergiste d’Ampefy, est un des plus fervents défenseurs de cette vision d’un tourisme vert malgache impliquant les villageois. « Il faut sortir des sentiers battus et faire découvrir autre chose que les geysers et les chutes de la Lily. On peut faire bien d’autres activités. Par exemple, je reçois régulièrement des parapentistes qui s’envolent des sommets des volcans. Quand le niveau de l’eau le permet, on peut faire du rafting sur la rivière Lily. Les randonnées permettent de découvrir le pays à pied ou en vélo. On peut aussi se promener en pirogue sur le lac. « 

« L’accueil de touristes dans les villages apporterait un revenu complémentaire aux paysans, ce qui leur permettrait de surmonter plus facilement les mois difficiles de l’année. En plus des débouchés pour l’agriculture et la pêche, le tourisme aurait des retombées sur l’amélioration des chemins, l’amélioration de l’habitat, la protection de l’environnement. Des solutions existent pour déparasiter le lac de la bilariose, elles devront être mises en œuvre avec l’aide des habitants. » 

« Nous ne sommes qu’au début de ce travail » conclut Jacky Ramarlah. Une convention de coopération pour développer l’agriculture et le tourisme a été signée avec la région Aquitaine. Depuis huit mois, deux chargés de mission, dont Guillaume Delirie pour le tourisme, sont à pied d’œuvre. « Je crois  fermement au tourisme villageois dans l’Itasy, affirme-t-il. Bien sûr, nous devons voir ce qui est faisable et ce qui ne l’est pas. Mais ici le terrain est vierge. Il y a beaucoup de possibilités. »

Source d’inspiration pour l’Itasy, l’Akantara voisin coopère avec la région Auvergne pour développer son tourisme. Aussi, ce qui dessine peut-être à l’horizon, c’est un tourisme des hauts plateaux englobant les deux régions. D’autant plus que la route conduisant à Ampefy aboutit théoriquement à Antsirabé. Elle n’est plus praticable, mais si elle le redevenait sur toute sa longueur, elle offrirait au cœur de Madagascar toutes les qualités d’une route touristique à part entière, riche en découvertes naturelles et humaines, avec, bien entendu, une étape incontournable au lac Itasy.

 

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