Ces courts voyages en lecture invitent à flâner, observer, apprendre, guidé par un passé qui a marqué les lieux et qui, bien souvent, nous concerne à travers la colonisation. Ils ont pour ambition de procurer des moments d'évasion, mais aussi d'ouvrir des portes sur le destin des peuples.

Un client forcé reste un client

« Nous avons subi une agression et nous avons riposté » répond mercredi matin, à Anjouan, un GP comorien venu de Moroni. La même question, posée un peu plus tard à un autre GP, recueille un hochement de tête négatif et discret.

« Bonjour ». Venu par la plage, l’homme traverse la terrasse, échange quelques banalités et s’en va par l’entrée de l’hôtel. Coup d’œil discret du barman vers nos bagages. Un papier plié laissé sur un sac. Le mot : « L’assassinat du président Abdallah a eu lieu à 11 h dimanche à la villa présidentielle. La femme du fils du président, Djamal, directeur d’Air Comores, a entendu des coups de feu. Elle a prévenu son mari qui a appelé son frère Salim. Ensemble, ils sont allés à la villa. Ils sont entrés et ils ont trouvé le cadavre du garde du corps du président. Le président n’était pas dans sa chambre. Ils l’ont trouvé dans une autre chambre, tué de cinq balles. C’est Bob Denard qui l’a tué. Que va-t-il se passer maintenant pour les Comores ?» Tout d’abord, déchirer le mot en morceaux minuscules et le faire disparaître...

Même si la version pêche par bien des aspects, c’est celle qui se répand aujourd’hui à travers les Comores : Bod Denard est responsable de la mort du président Ahmed Abdallah. Le scénario ramené par un Mahorais qui se trouvait à Moroni dans la nuit de dimanche à lundi est encore plus spectaculaire. Dès le samedi soir, la garde présidentielle avait entrepris des manœuvres d’exercices dans le périmètre situé à l’extrémité de la corniche où sont réunis à relativement peu de distance la villa présidentielle, plus loin sur la même route le camp des forces armées comoriennes (FAC) et, dans les hauteurs, celui de la garde présidentielle (GP). Dimanche soir, tous les GP comoriens étaient consignés au camp et seuls les mercenaires blancs ont investi la villa du président, neutralisant les gardes, tuant le lieutenant Jaffar, l’officier de sécurité d’Ahmed Abdallah, avant d’abattre le président lui-même. 

Reprenant la tête des unités de la GP, ils auraient ensuite surpris les FAC et les auraient désarmés. Puis, ils auraient tirés en l’air pour faire croire à un affrontement entre les deux forces. Une coopérante française domiciliée à peu de distance de la villa présidentielle, contactée par téléphone, confirmait la fusillade qui aurait duré « une bonne heure ».

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Deux versions circulent depuis lundi. Celle, officielle, diffusée par Radio Comores attribue l’attaque de la villa du président à des éléments incontrôlés de l’armée.  « Nous avons subi une agression et nous avons riposté » répond mercredi matin, à Anjouan, un GP comorien venu de Moroni. La même question, posée un peu plus tard à un autre GP, recueille un hochement de tête négatif et discret.

Lundi, à la première lueur de l’aube, entre quatre et cinq heures, des GP ont atterri à l’aérodrome de Ouani, à Anjouan, avec pour mission d’arrêter et de ramener à Moroni le commandant en chef des Forces armées comoriennes, Ahmed Mohammed. Contacté par téléphone à son domicile où il est sous surveillance, il a déclaré avoir été touché par les éclats d’une roquette tirée contre sa maison de Mutsamudu. Le commandant Ahmed Mohammed avait présenté il y a quelques jours sa démission au président Abdallah qui l’avait refusé. 

Le plan des mercenaires blancs, si leur responsabilité se confirme, incluait donc dès le départ la disparition de la menace que constituaient pour eux les forces armées comoriennes qui sont encadrées par des instructeurs militaires français. En revanche, les milieux de l’opposition n’ont pas été inquiétés.

Les obsèques du président Abdallah se sont déroulés dans son village natal de Domoni à Anjouan mardi soir. Aucun pays étranger n’était représenté. L’ambassadeur de France, Robert Scherrer, n’y a pas été convié. Prévue initialement à 10 heures du matin, la cérémonie a été repoussée à deux reprises. Elle a finalement eu lieu à 18 heures. Un témoin, venu de Mayotte, raconte que les impacts de balles étaient visibles sur le front et le thorax du corps embaumé. 

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Ouani, mardi à 10h30. Les GP entourent l’avion dès qu’il a stoppé, fusils pointés. Invisibles du ciel, ils se cachaient à l’intérieur du bâtiment de l’aérodrome. « Les appareils photos par ici. Vous allez rejoindre vos camarades à l’hôtel. Interdiction de sortir et interdiction de téléphoner. C’est bien compris ? Je n’ai rien contre vous en particulier, mais j’appliquerais les ordre. »

C’est un Français d’une quarantaine d’années. Il porte les deux barrettes de lieutenant sur les épaulettes de son treillis, dit s’appeler Lemarque, faire des affaires en Afrique et revenir de temps en temps à la GP en « stage ». Il figure sur la photo déjà ancienne diffusée en France où l’on voit douze mercenaires en rang d’oignons avec, au centre, Bob Denard en costume cravate. Il est ferme mais correct. Son second, un grand blond au crâne rasé, paraît un peu gauche, comme gêné. Ils commandent une trentaine de GP comoriens armés de kalachnikov et de lances-roquettes, répartis sur la piste, le toit du bâtiment et la tour de contrôle.

Il n’y a pas à discuter. Tout était préparé. Les GP savaient que deux journalistes français étaient à bord du bimoteur en provenance de Mayotte. Ils avaient eux-mêmes donné l’autorisation d’atterrir. La veille, en milieu d’après-midi, l’équipe de RFO Réunion était parvenue à tourner quelques images et à recueillir le témoignage du directeur de l’aérodrome déserté. Ils avaient ensuite marché un kilomètre, accueillis avec curiosité et gentillesse par les Anjouanais avant d’être interceptés par Lemarque à la tête d’une patrouille. Leur matériel a été confisqué. « On ne vole pas chez les GP » dit en souriant le lieutenant Lemarque.

La Land Rover n’est plus toute jeune et peine dans les côtes. Le deuxième jour de deuil national n’a pas l’air d’affecter grand monde. Les Anjouanais discutent, mains dans les poches. Des jeunes jouent au football. Les habitants déambulent le long des ruelles de leurs villages. Tout est fermé et tout est calme. La GP contrôle la situation. Les autorités locales ne jouent plus aucun rôle à Anjouan. C’est la réplique, à l’échelle anjouanaise, de la situation en Grande Comore.

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L’hôtel est à dix minutes de l’aérodrome. Le gérant présente les menus l’air désolé et offre les apéritifs. Un client forcé reste un client. Il a des consignes pour le téléphone. Cela ne suffit pas à la GP : dans la nuit de mardi à mercredi, la ligne reliant l’hôtel sera coupée. 

« La GP garantit vos personnes. Vous serez expédiés demain matin sur Moroni par l’avion d’Air Comores où vous serez pris en charge par l’ambassade. On s’occupe de vous. » Le consul français d’Anjouan, gendarme coopérant, est en civil depuis lundi. « Pour la GP, il est entendu que vous avez été retenu mais qu’à aucun moment vous n’avez été otages. »

Le second de Lemarque est venu boire un verre à l’hôtel. Il a glissé à Joseph Edern, l'envoyé spécial de RFO, quelques-unes de ses vérités sur Pétain et Brasillach. Bon prince, Lemarque laissera dans le matériel récupéré à l’aérodrome, juste avant l’expulsion finalement vers Mayotte, un billet se terminant par ces mots : « Vous devez nous comprendre ». A côté, deux insignes de la GP en souvenir.

Quelques propos timides, ici et là, ne laissent aucun doute sur les véritables maîtres du pays : les mercenaires blancs avec à leur tête Bob Denard. La mort du président Abdallah fait disparaître un paravent qui les masquait et que le président de la Cour suprême, Saïd Mohammed Jouar, qui assure l’intérim, ne remplace pas. De nouvelles élections doivent se tenir d’ici quarante jours. « Personne n’osera se présenter » affirme un Comorien.

Il reste à découvrir quel mobile a pu justifier l’assassinat du président Abdallah. Aucune des théories avancées jusqu’à présent, à commencer par celle de devoir quitter les Comores sous la pression de la France, n’est satisfaisante. La disparition du président fragilise a priori la position des mercenaires dans la mesure où elle enlève toute légitimité à leur présence aux Comores.

Tous les ministres d’Ahmed Abdallah ont assisté à l’enterrement. Le lendemain matin, ils montent dans l’avion du retour pour Moroni sous le regard méprisant des GP comoriens occupant l’aérodrome d’Ouani. « Ce sont tous des voleurs. Ils ont mis le pays à genoux » dit l’un d’eux à voix basse. 

Appuyé au canon de son fusil, il explique : « On ne fait rien, mais on attend là toute la journée, au cas où… » Plus tard, les yeux rivés au sol, il ajoute : « C’est bizarre comment il est mort le président. Il y avait des gardes à la villa présidentielle, et pourtant il n’y a pas eu de blessés. » 


 

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